vendredi 18 novembre 2011

In mémoriam : Andréa ZANZOTTO

Il y a un mois, le 18 octobre dernier, nous quittait un des plus grands, si pas le plus grand, poète italien.


Andréa ZANZOTTO


Né à Pieve di Soligo, le 10 octobre 1921, Andrea Zanzotto obtient sa maîtrise de lettres en 1942, à Padoue, et commence à enseigner avant même d'avoir fini ses études. Après la guerre, il séjourne en France et en Suisse, avant de retourner définitivement vivre et enseigner à Pieve di Soligo.Il enseigne dans le secondaire tout en prenant part à la vie littéraire du pays.


L’œuvre littéraire de ZANZOTTO est une oeuvre majeure  en tous points remarquable et mérite assurément une longue halte  mais je ne m’attacherai ici qu’au recueil intitulé Filò La Veillée parce que celui-ci est dédié essentiellement à Venise.




 
1976.Lors du tournage de son Casanova, Federico FELLINI est à la recherche de vers en dialecte vénitien pour la tirade du Doge de l’une des scènes les plus envoûtantes de son film. Bien au fait de la création littéraire italienne et conseillé par son ami Nico NALDINI ( le cousin germain de Pier Paolo PASOLINI)  il fait tout naturellement appel à l’un des grands poètes contemporains, le vénitien Andrea ZANZOTTO.


FELLINI voudrait rendre fraîcheur et vigueur à un dialecte qui a perdu de son émotivité. Il aimerait que ZANZOTTO lui écrive un texte , mélange de la langue du Ruzante et de Goldoni.

Un texte qui reflèterait  le caractère visionnaire et quelque peu hagard  qu’il souhaite donner à son film CASANOVA.


 Pour mener à bien ce projet, le poète recourt alors à plusieurs dialectes. Il se réfère aussi bien à la tradition cultivée écrite qu’aux traditions orales de la ville de Venise comme à celle de sa région de Trevise. Le poète écrit des vers qu’il intitule : Récitatif vénitien », des vers « «  tour à tour sublimes, gouailleurs, licencieux et délicieusement blasphèmes ».

ZANZOTTO compose également La Cantilène londonienne » (clic), qui présente la fraîcheur d’une langue presque inventée depuis un matériau sonore typiquement vénitien du registre » petèl » : la langue câline par laquelle les mères s’adressent aux enfants très petits, c’est la chanson du film empreinte d’une délicate tendresse mélancolique.


Pin penin(1)
Valentin
Pena bianca
Mi quaranta
Mi un mi dói mi trèi mi quatro

Mi que mi sie mi sète mi òto

Buròto
Stradèa
Comodèa
(1)    il s ‘agit d’une comptine très connue, un peu remaniée ‚(et qui est, au reste, sujette à une multitude de variantes locales), avec de nombreux non-sens intraduisibles.

Pin penin(2)
Fureghin
Perle e filo par inpirar
E pètena par petenar
E po ‘ codini e nastrini e cordèa

Le xe le comedia i zoghesse de chéa
Cha jeri la jera putèa.

(2)  ici commence la partie inventée.

 P’tit peton
Valentin,
 plumelutin,
et moi carante
Et moidoeufs et moitrois et moicâtre
Et moi cinque et moississe et moissette et moiyuite
Vruiiite,
Tousselapin
Comodin-

P’tit peton
Vri-vrille,
Perles et fil à enfiler,
Et peigne pour peigner,
Et puis caudelettes et rubaneaux et cordelettes-

Ce sont là les jeux, les joujous de celle
Qui hier, hier encore, était petite fille.



Dans le même élan, mettant à profit cette expérience , ZANZOTTO rédige un long poème, intitulé La veillée,  écrit en dialecte haut trévisan qui se trouve être la langue maternelle du poète, suivi d’une méditation en prose sur le destin des langues à une époque où les dialectes disparaissent sur fond de «  communication globale »

ZANZOTTO  plie les dialectes de koiné vénitienne à toutes sortes d’inventions . Loin de l’ univers clos et trop souvent muséal ou nostalgique qu’est devenue la tradition dialectale écrite de notre époque, ZANZOTTO en tire une langue savamment élaborée et riche en privautés.

Après s’être mesuré avec la tradition dialectale , le poète est alors mûr pour affronter dans une  trilogie   Le Galaté au bois(1978), Phosphènes(1983), Idiome(1986) – la synthèse des trois grandes traditions poétiques italiennes : la dantienne, la pétrarquiste et la dialectale. 

Mais ZANZOTTO est aussi un critique fécond et original et un excellent traducteur ( Balzac, Michaux, Bataille). Il a également écrit, en vénitien,  pour les enfants.




Dans le domaine du cinéma, il continuera de collaborer aux films de FELLINI auquel le lie une solide amitié. Le nom de ZANZOTTO figurera de nouveau aux génériques de La cité des femmes comme de E  la nave va. Pour ce dernier film, ZANZOTTO réécrira les lyrics empruntés au répertoire de la tradition italienne du XIX e siècle. Avant de disparaître  FELLINI envisageait de réaliser un film à sketches sur Venise dont ZANZOTTO eût été l’un des scénaristes.

 La  totalité de ses poèmes et un large choix de ses proses ont connu  en langue originale, plusieurs éditions annuelles dans la prestigieuse collection "I Meridiani" l’équivalent de la Pléiade -, 


Andréa ZANZOTTO est décédé le 18 octobre à Conegliano. 
Il venait d’avoir nonante   ans.
Andréa ZANZOTTO était  une personnalité largement appréciée . Sans aucun doute légitimement conscient de sa valeur mais cependant ouvert aux autres, un Honnête Homme  pratiquant la belle modestie des vrais Grands.


Vous trouverez sur le net des biographies plus complètes. Je n’ai pas jugé utile de prolonger mon texte d ‘un copier/coller  d’une bibliographique importante. Google répondra à toutes vos requêtes.
 ***
De vous à moi, très honnêtement, ce n’est pas la poésie de Zanzotto qui a retenu ma première attention:-)


En tant qu'auteur et ayant choisi de m'exprimer dans  ma langue maternelle, j'ai le plaisir et surtout  l'honneur de voir quelques-uns de mes écrits publiés dans la revue "micRomania, revue consacrée aux littératures contemporaines en langues régionales romanes". Editée par le Comité roman du comité belge du Bureau européen pour les Langues moins répandues, cette revue publie des textes en aragonés ,jurassien,franco-provençal,furlan,..etc ..Il y a quelques années déjà un de mes textes s'est trouvé voisin d'un poème de ZANZOTTO. J'avoue humblement qu'à cet instant ce n'est pas le poème qui a retenu mon attention mais bien la biographie de son auteur et son origine: Venise, vénitien, Vénéto, ce sont des mots qui accrochent facilement mon regard.
Je me suis donc informée et j'ai acheté " la Veillée" puisque le texte est dédié à Venise.J'ai découvert un écrivain  habité par sa langue et ne le ménageant pas! Ce n'est pas facile à lire, j'en conviens, il faut juste se laisser emporter... c'est ce que je fais , pour l'heure avec 


2 commentaires:

  1. Très triste, nous perdons un formidable poète.
    Mais par ses écrits il sera toujours vivant
    parmi ceux qui l'apprécient.
    Elza Jazz

    RépondreSupprimer
  2. Vous rendez un bel hommage à Zanzotto à travers votre article, sans oublier de citer le génial cinéaste Federico Fellini qui savait s'entourer d'amis talentueux.
    Anne

    RépondreSupprimer