Cette oeuvre de jeunesse, première représentation d'un repas biblique peinte par Véronèse, est construite comme une scène de théâtre incluant des portraits contemporains. Une famille patricienne de Venise assiste au souper d'Emmaüs (Luc, 24, 13-35), au cours duquel deux disciples reconnaissent le Christ ressuscité à la fraction du pain. En mêlant intimement le divin et le terrestre, Véronèse met l'accent sur l'humanité du Christ.
Après sa résurrection, le Christ apparaît à plusieurs reprises à ses disciples. Ici, on aperçoit à gauche dans l'échappée sur le paysage sa rencontre avec des pèlerins sur la route d'Emmaüs. La suite de cet épisode se déroule au premier plan de la composition, lorsque Jésus lève les yeux au ciel à l'instant où il bénit le pain au cours du repas. Ce geste divin permet aux deux apôtres surpris de le reconnaître.
Véronèse ne se limite pas à l'iconographie traditionnelle. Il situe le miracle dans un palais au lieu d'une auberge, devant une porte à fronton triangulaire flanquée de colonnes cannelées. Surtout, il introduit une famille peu soucieuse de l'événement au sein de la scène religieuse. Le contraste est d'autant plus fort que les vêtements antiques se mêlent aux riches costumes vénitiens à la mode contemporaine.
L'abondance de scènes anecdotiques rend la lecture un peu confuse. Ainsi, les fillettes blondes jouant avec un chien au premier plan occultent par leur charme et leur grâce le sujet principal. Ces enfants occupent un axe stratégique, puisque leur disposition à hauteur de spectateur révèle la volonté du peintre de créer une véritable mise en scène transformant le lieu sacré en une tribune de théâtre. Dans cette oeuvre de jeunesse, Véronèse cherche à acquérir la maîtrise de son style. Il mélange les genres, l'histoire, le portrait de groupe, et affirme son goût pour l'architecture qui se détache sur un ciel bleu. Ce premier grand tableau religieux, dont on ignore le commanditaire, annonce les effets scéniques des Noces de Cana.