VENISE
Je fus réveillé à l’aube
Par le timbre d’un carreau.
Craquelin de craie qui trempe,
Venise flottait sur l’eau.
Aucun bruit. Mais comme en rêve,
J’avais entendu un cri
Qui troublait encore la grève
Comme un signe évanoui.
Cri lointain d’une victime?
Trident du scorpion, sous lui
Le miroir des mandolines,
Apaisé, dormait sans bruit.
Fourche fichée dans la brume
Jusqu’au manche, il se taisait,
Et le Grand Canal en fuite,
Ricanant, se retournait.
Loin, près du débarcadère,
Du rêve naissait le vrai,
Et Venise, Vénitienne,
Se jetait à l’eau du quai.
(In Les Premiers Temps, 1914)
Je fus réveillé à l’aube
Par le timbre d’un carreau.
Craquelin de craie qui trempe,
Venise flottait sur l’eau.
Aucun bruit. Mais comme en rêve,
J’avais entendu un cri
Qui troublait encore la grève
Comme un signe évanoui.
Cri lointain d’une victime?
Trident du scorpion, sous lui
Le miroir des mandolines,
Apaisé, dormait sans bruit.
Fourche fichée dans la brume
Jusqu’au manche, il se taisait,
Et le Grand Canal en fuite,
Ricanant, se retournait.
Loin, près du débarcadère,
Du rêve naissait le vrai,
Et Venise, Vénitienne,
Se jetait à l’eau du quai.
(In Les Premiers Temps, 1914)
Boris PASTERNAK
« ma préoccupation constante était que le poème lui-même contînt
quelque chose, une pensée nouvelle ou un nouveau tableau. [...] Par
exemple, pour Venise, la ville aquatique se dressait devant moi, et les
ronds et les huit de ses reflets sur l'eau voguaient et se multipliaient
en se gonflant comme des biscottes dans le thé [...] Je n'avais rien à
demander ni à moi-même, ni au lecteur, ni à la théorie de l'art. Je ne
demandais qu'une chose : que le poème contînt la ville de Venise.»