Je languis après Venise. J’en voudrais sortir, quand j’y suis. Et quand je n’y suis plus, je brûle d’y être. Venise est dangereuse, Venise est enchanteresse. Avec les barques de Chioggia, aux voiles immenses, d’azur, de souffre et de pourpre, plus bleues, plus rouges, plus triomphantes que les galères pavoisées, au retour de Dom Juan, après la victoire de Lépante, je suis rentré par le vent du Sud, qui a le souffle ardent de la nostalgie.
Je touche à la Piazzetta, les lions rient sur les colonnes, avec leurs moustaches de la Chine. Ils sont si bien du Levant, et peut-être de Ninive, qu’ils se donnent l’air d’être nés au fond de l’Extrême Asie, dans le Fo-Kien ou l’un des Kiangs. Venise est pleine de lions en pierre, ou de chats paisiblement assis au seuil des maisons, dans l’orbe de leur queue. Les chats font des yeux heureux dans la voluptueuse Venise, et leur fourrure brille. (….)
Même si on y a déjà vécu, les premières heures à Venise sont un temps d’amour. Un plaisir sans raison et sans dessein me lance, comme une balle, d’objet en objet ; mais la balle est sur l’eau, elle vole et elle glisse.
Le clapotis des vagues, le pas de la gondole, l’appel du gondolier sur la lagune, le silence et la fleur de clarté, tout concourt au mirage nuptial : c’est la joie d’amour elle-même, de l’amour sans jugement, que rien ne déçoit et qui se croit sans limite. (….)
O folle ville sans terre. Les plus beaux palais y sont un reflet de la fantaisie, fleurs sur la prairie fluide : à de certaines heures et sous de certains ciels, ils penchent, ils se fanent. Toutes racines sont coupées de l’homme à ce qui dure. Si jamais la sensation a créé le temps, c’est à Venise.
Les morts sont cachés dans une île lointaine, encadrée de murs rouges, pareille à un coffre. Point de fondations : le plaisir est le moment. Le moment porte tout. Venise conseille l’ivresse : vivre dans un baiser,
et aussi bien y mourir.
« Vers Venise », Le voyage du Condottière, André Suarès.
Même si l'on a déjà lu toutes ces lignes, on ne s'en lasse jamais. J'aime beaucoup André Suarès.
RépondreSupprimerDommage ta musique s'arrête au bout de quelques mesure, ce morceau de Rondo Veneziano est sublime et je l'apprécie beaucoup quand je viens ici.
Je t'embrasse et bon week-end à toi aussi
Danielle
Deezer...j'ai fait depuis un moment déjà le nécessaire pour que la musique ne s'arrête pas...mais , je constate que je vais devoir réagir auprès de mon fournisseur. J'aime , moi aussi, beaucoup, ce morceau..
RépondreSupprimerVivement un peu de soleil...
BISES et beau WEnd!
Vous illustrez à ravir cette page de Suarès. Je vous souhaite aussi un très doux weekend.
RépondreSupprimerDimanche dernier, j'y étais encore, sous un beau soleil ; ce fut un séjour enchanteur de dix jours entre frères et soeurs, première fois que l'on était ainsi tous réunis. Ils ont du être satisfaits de leur petite guide, ils veulent y retourner dans un an....
RépondreSupprimerBon dimanche et bonne semaine ensoleillée pour tous ; a presto !